Anti-Utilitarisme : L’argument Santé

by Annaelle

Beaucoup de gens pensent, sans doute parce que c’est comme ça que c’est enseigné, que l’utilitarisme et le déontologisme, sont des familles d’éthiques normativement différentes. Par là, je veux dire que ce sont des familles de réponses différentes à la question «comment devrions nous vivre?».

Cela est inexact. Les commandements normatifs – les «Tu dois faire ceci ou cela» de ces deux famille d’éthiques sont les mêmes – «Agis honnêtement», «Respecte autrui», «Partage», «Sois impartial.e dans ta prise de décision», «Prend soin des gens qui ont besoin de toi», «Porte-toi au secours des gens vulnérables, dans la misère ou mals pris».
Certains vont dire que ces deux éthiques ont divers degrés d’exigence, que l’utilitarisme demande d’être parfait alors que le déontologisme demande simplement de faire de son mieux. Encore là, c’est une opinion fausse, quoique compréhensible (et pédagogiquement utile), parce que ce sont en vérité deux façons de parler essentiellement de la même chose, mais avec un intérêt différent : selon le sens commun, la personne qui fait son mieux possible en toutes circonstances est un agent moral parfait – c’est seulement, en effet, la personne qui pourrait agir mieux qu’elle ne le fait qui commet une faute.

Là ou se trouve réellement la divergence, c’est dans la méta-éthique. C’est dans leur réponse à la question «quelle sorte de chose est le bien» que les deux éthiques divergent. Pour les utilitaristes, le bien est ce qui est utile – ce qui sers à une fin. Les utilitaristes croient que le bien suprême – la fin de toutes les fins, est le bonheur. Donc, le bien, c’est ce qui est utile au bonheur. C’est une réponse crédible, parce que si, à la question «comment devrions nous vivre», on répond «en créant le plus de bonheur possible», on arrive à un ensemble de commandements normatifs qui mènent à la vie bonne.
Les déontologistes ont une autre réponse à la question «quelle sorte de chose est le bien». Pour les déontologistes, le bien est «ce qui se choisi par la volonté de faire le bien». C’est une différence importante, parce que, pour les utilitariste, le bien est une propriété des choses, et, pour les déontologistes, le bien est une propriété des décisions volontaires. On remarquera que les décisions volontaires sont une sorte de chose, et que les utilitaristes, à travers la littérature, ont tenté de faire du déontologisme une doctrine qui s’explique en termes utilitaristes. Mais les déontologistes ont tenté de faire pareil, en affirmant que choisir d’agir en créant le plus de bonheur possible, c’est une décision volontaire bonne. Comprendre cette dynamique, c’est comprendre avec clarté à quel point se sont des doctrines qui se ressemblent du point de vue normatif.

L’argument de la santé. La santé est incontestablement quelque chose d’utile. Et les utilitariste vont dire, de la santé, qu’elle est bonne. Qu’elle est même bonne d’elle-même – que la santé est utile d’elle-même. Mais on voudrait dire – aussi – que toute bonne personne n’est pas nécessairement en santé – que certaines personnes vivent des vies tout à fait bonnes en étant malades. Et l’adéquation entre utilité et bonté est un problème pour les utilitaristes, parce que la santé est un domaine de réflexions éthiques beaucoup plus profond que de simplement dire «la santé est bonne, maximisons la santé». Du point de vue d’une personne malade, «comment dois-je vivre» ne se résume pas à «En guérissant», ni à «Identiquement à une personne en santé, sauf qu’il faut en plus que je guérisse». Et l’utilitarisme, de son acharnement à dire que «”la santé est bonne” ou “la santé est utile”, ça veut dire au fond la même chose» a beaucoup de problèmes à être pertinent en tant qu’éthique normative pour les personnes malades. Le déontologisme n’a pas ce problème – car il peut reconnaître l’utilité en soi de la santé sans en faire une obligation absolue pour les personnes malades. Le déontologisme, grâce à sa méta-éthique de la décision volontaire est capable d’expliquer en quoi la maladie peut être mal commode sans être un défaut personnel de la personne malade, et même si l’on parle d’une maladie associée à des habitudes de vies comme le tabagisme ou la consommation d’alcool – et, c’est le dernier clou que j’assènerai dans son cercueil – l’utilitarisme n’est absolument pas capable de faire cela.